Préface
Vincent Padare — 06.02.2022


« T17 ! ». Dès le départ, ça sonnait comme le futur avant l’heure. Une créature d’un genre nouveau, tout droit sortie du labo du Dr Gero, ou du cerveau fumigé à l’opium d’un architecte 1er prix de Rome. N’en déplaise aux ergonomes pur sucre, un monolithe brutaliste à l’ascétisme fonctionnel, trônant au centre d’une ville-nouvelle, conçu pour atténuer la nostalgie des colons rapatriés, donner asile aux fonctionnaires des PTT. De la terrasse au parvis, tous pétrifiés dans le huis clos d’un village vertical en béton-armé. Mauvaise presse, petites avaries ou licenciements d’masse ? Par les temps qui courent, il n’y a plus d’place pour d’grands discours sur les raisons de sa désaffection. S’il fallait l’dire de manière pudique, on parlerait sans doute d’échec des politiques publiques. Ici nulle masse critique, précipitant sa chute, grâce au regard zélé de ses gardiens. Plutôt une lente descente à rebrousse poile des grattes-ciel Ballardien. De ces rires qui irriguaient son ventre, ses longs couloirs ridés, la tour doyenne s’est peu à peu vidée. Pas de départ de feu, de grave déflagration, juste le départ ce ceux qui firent ses heures de gloire, f’ront sa dévastation.

Au jour de son exécution publique, dans une ambiance de kermesse, l’effondrement du bon géant dévoile un trou béant dans l’horizon. Voyeurs et fossoyeurs se pressent en rang d’oignon, comme des charognards venus glaner un bout de cadavre, une de ces pièces détachées, que l’on profane, griffonne, charcute, piétine, qu’on laisse pourrir dans un recoin d’une faculté d’médecine. La créature mythique à la dépouille immense, engloutie par l’oubli, empeste les remontées gastriques, la tuyauterie bouchée, refoule les vestiges de l’enfance, remue les tabous dans la plaie engourdie.

Au pied d’la T17, ça sent l’semtex, on a rabattu les persiennes. Et nos souvenirs, c’est par l’odeur qu’ils me reviennent : Des bouts d’carton en guise de luge pour dévaler les buttes lactées qui enlacent le lac, les rumeurs d’héliport , de piscine à débordement au 18ème, la grande horloge en céramique, et le théâtre Gérard Philippe, les étés sur le plongeoir des PTT, à jouer au tennis-ballon. Mme Guérin, M. Surjus, ses grosses paluches qu’il lui suffit d’lever pour réduire au silence nos guerres des boutons. Grandeur et décadence d’un Grand Ensemble, petits récits annexes, chroniques anecdotiques à l'ombre de la grande histoire, en pied d'immeuble de grande hauteur. Recueil de mémoires et de légendes urbaines, narrées par des enfants d’la Dalle plus que d’la balle, des p’tits loubards périphériques d’une mystérieuse cité dortoir, qu’en ont plein les baskets d’arpenter ses trottoirs. La Source est un bled idyllique, comme dit mon copain Mohamed aux flics, aux flics…

